Le procès du coup d’État avorté du 27 septembre 2024 devant la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) continue de livrer des éléments troublants. L’accusation semble solidifier son dossier à mesure que des témoignages accablants se multiplient. Oswald Homéky, Olivier Boko et leurs coaccusés apparaissent de plus en plus isolés, alors que leur défense repose sur la contestation des procédures judiciaires.
La chronologie des interventions
Dès l’ouverture des débats, la tension était palpable dans la salle d’audience.
• 08h12 : Arrivée des accusés, dont Oswald Homéky et Olivier Boko.
• 09h00 : L’audience tarde à démarrer, les accusés se plaignant de l’absence de leurs avocats.
• 09h14 : La Cour invite les accusés à la barre.
• 09h20 : Explications des accusés sur l’absence de leur défense.
• 09h37 : Première suspension de l’audience.
• 10h11 : Reprise de l’audience après la suspension.
• 10h17 : La présidente de la Cour rappelle les faits et ordonne l’ouverture des débats.
• 10h23 : Début de l’audition des témoins.
• 10h57 : Témoignage clé du colonel Djimon Tévoédjrè, qui prête serment et commence à détailler son rôle dans l’affaire.
• 12h22 : Le colonel Tévoédjrè évoque un « modèle de coup d’État à la Bazoum » et explique son rôle dans l’opération.
• 12h43 : Témoignage d’un agent de sécurité de la résidence d’Oswald Homéky, qui décrit les événements du 23 septembre 2024.
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Le registre des agents de sécurité et les visites suspectes
Un élément clé du dossier a été la gestion du registre des agents de sécurité. Un des agents présents ce jour-là a témoigné qu’Oswald Homéky leur avait annoncé qu’il recevait des visites et leur avait demandé de quitter leur poste de garde pour se tenir à l’extérieur de la maison, au bout de la rue. Cette décision a empêché l’enregistrement de toute activité suspecte dans le registre, afin d’éviter toute trace des visiteurs qui se sont rendus au domicile de Homéky.
Lors de cette nuit-là, il a été rapporté que Homéky a ouvert et fermé le portail lui-même à chaque visite, ce qui a suscité des interrogations sur la gestion de la sécurité autour de son domicile. Parmi les visites, l’une des plus notables a eu lieu à 22h04, lorsque un véhicule de marque Range Rover, immatriculé au Togo, est arrivé. Homéky lui a ouvert le portail, permettant au véhicule d’entrer dans le garage, pour repartir seulement huit minutes plus tard. Ce véhicule est suspecté d’avoir transporté les 250 millions de FCFA retirés des comptes de la Société PORTEO à Ecobank Togo.
Un véhicule suspect et une transaction douteuse
L’un des éléments troublants du dossier concerne un Toyota Prado suspect, dont l’utilisation et l’achat soulèvent des doutes. Ganiou Sanoussi, chauffeur d’Oswald Homéky, a révélé avoir reçu des instructions pour conduire ce véhicule sans plaques d’immatriculation après un passage à Zongo. Cette tentative d’effacement des traces ne peut être anodine et pose la question de la réelle implication du véhicule dans l’opération du 27 septembre. Le témoignage de T.A, vendeur de véhicules, renforce les soupçons : le Prado aurait été livré à Homéky pour 12 millions FCFA, une somme jamais réglée. Une absence de paiement qui, loin d’être une simple négligence, laisse supposer une stratégie délibérée pour brouiller les pistes.
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Des flux financiers inquiétants
L’aspect financier de l’affaire constitue un autre pan crucial du procès. Selon Crépin Adjigbékoun, comptable de Rock Niéri, 2,5 milliards FCFA ont circulé entre juin et septembre 2024, officiellement pour des travaux d’infrastructure. Toutefois, des retraits massifs de ces fonds ont eu lieu dans les jours précédant le 23 septembre, et une partie de l’argent a été retrouvée au domicile d’Oswald Homéky. Corneille Gbaguidi, gérant d’une société de BTP impliquée, a tenté de justifier ces transactions par des travaux routiers, mais l’absence de documents précis et la découverte de fonds détournés pèsent lourdement contre la défense.
Un plan minutieux de prise de pouvoir
Le témoignage du colonel Djimon Tévoédjrè a été l’un des plus accablants. Commandant de la Garde républicaine, il affirme qu’Oswald Homéky l’aurait approché dès mai 2024, critiquant ouvertement le président de la République et plaidant pour une prise de pouvoir par la force. Il révèle que 1,5 milliard FCFA étaient destinés à l’opération et qu’il devait rallier des chefs militaires en échange de postes stratégiques dans le futur régime. Il a même évoqué une promesse de nomination à la tête de la junte militaire en cas de succès, et Oswald Homéky comme conseiller spécial et Maxime Sévérin Quenum qui jouerait le rôle de Président de la Cour Constitutionnelle.
Par ailleurs, il affirme avoir pris ses précautions en conservant des preuves matérielles fournies par Oswald Homéky, notamment un virement de 105 millions FCFA destiné à un contrat d’assurance-vie souscrit en sa faveur auprès de NSIA Assurances Vie Côte d’Ivoire.
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Un dernier recours : obstruction et victimisation
Face à ces révélations, la défense des accusés a opté pour une stratégie d’obstruction et de contestation de la procédure. Oswald Homéky, visiblement acculé, a déclaré : « Si vous croyez ce que le Colonel a dit ce matin, condamnez-moi !… »
Quant à Olivier Boko, il a refusé de s’exprimer sous prétexte de l’absence de ses avocats, affirmant qu’il ne pouvait pas témoigner dans ces conditions. Ces attitudes trahissent-elles une volonté de détourner l’attention des preuves accablantes accumulées par l’accusation ?
Vers une stratégie de défense déjà éprouvée ?
Au regard des éléments accablants révélés tout au long du procès, il apparaît clairement que les accusés ont pris la pleine mesure des preuves accumulées contre eux. Conscients de la solidité du dossier de l’accusation, ils ont délibérément orienté leur défense vers la contestation des procédures, soulevant des irrégularités supposées et multipliant les recours juridictionnels.
Toutefois, ces tentatives d’obstruction n’ont jusqu’ici pas prospéré devant la CRIET. Cette stratégie de judiciarisation à outrance n’est pas sans rappeler d’autres affaires similaires, où des prévenus ont, après leur condamnation, saisi des juridictions supranationales comme la Cour de Justice de la CEDEAO et la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Il est donc fort probable que les accusés, anticipant un verdict défavorable, aient déjà préparé des recours devant ces instances, et qu’ils envisagent même de porter l’affaire devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, dans une ultime tentative d’internationaliser leur dossier.
Reste à savoir si ces manœuvres suffiront à atténuer la rigueur de la justice béninoise, ou si elles ne feront que retarder l’inévitable : la sanction de faits dont la gravité ne laisse guère place au doute.
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