Il est des moments où le ballet des puissants prend des airs de grande symphonie. Cette fois-ci, c’était à Rabat, où la visite d’État d’Emmanuel Macron chez Mohammed VI avait tout d’un spectacle réglé au millimètre. Deux nations s’étreignant, des drapeaux français et marocains flottant côte à côte, et l’hymne national résonnant sous une salve de 21 coups de canon. De quoi raviver cette flamme amicale entre la France et le Maroc, en pause diplomatique depuis trop longtemps. Mais derrière les sourires et les poignées de main chaleureuses, une question reste suspendue : où finit l’amitié et où commence l’intérêt ?
Certes, le Maroc et la France partagent une histoire commune, des liens économiques profonds, et des intérêts stratégiques bien définis. Mais il ne faut pas s’y tromper, ce déploiement de faste et de fanfare a une finalité très pragmatique. Nulle part dans cette célébration n’apparaît une phrase, une parole échappée pour saluer les profondes aspirations de liberté, de justice et d’équité des peuples. Rien qui ne mette en lumière l’attente de millions de Marocains et de Français quant à la solidité de leur avenir commun.
Et pourtant, l’agenda est chargé ! Avec une délégation française comptant pas moins de neuf ministres et 120 personnalités, dont un escadron de chefs d’entreprise, la visite a un parfum de business qui ne trompe personne. TotalEnergies, Veolia, Airbus, Engie… Les titans français sont venus sentir le vent de l’opportunité souffler sur les terres marocaines. Les protocoles s’enchaînent, mais, entre deux sourires diplomatiques, se signent aussi de juteux contrats dans les domaines de l’eau, de l’énergie, et même du numérique.
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Le ton est donné : si le peuple marocain agite ses drapeaux, c’est aussi pour applaudir des échanges commerciaux. Les chiffres sont éloquents. Le Maroc est devenu un hub incontournable entre l’Europe et l’Afrique, un terrain fertile pour les ambitions françaises. En 2023, les échanges ont frôlé les 14,1 milliards d’euros, et des accords stratégiques dans les énergies renouvelables ou le transport ferroviaire sont sur la table.
Enfin, comment ne pas noter l’absence de la moindre référence aux droits humains, à la démocratie ou encore à la réciprocité sociale ? Un visiteur candide aurait bien pu croire qu’il s’agissait d’une simple visite d’amis. Pourtant, les relations entre la France et le Maroc, si solidement nouées, reposent aussi sur des silences. Des silences sur la question brûlante du Sahara occidental, aujourd’hui objet de l’alignement stratégique de Paris sur Rabat, au grand dam d’une Algérie qui, elle, observe de loin.
En fin de compte, cette visite d’État ressemble bien à un exercice de diplomatie économique. Ce n’est pas que l’amitié soit feinte, mais elle semble bien accessoire face aux milliards à signer. Le monde se demande : et si l’amitié franco-marocaine se résumait aujourd’hui à un chèque de 10 milliards d’euros d’accords, quelques poignées de main, et un défilé sous les canons ?
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