mardi 25 mars 2025

Bassirou Diomaye Faye, un an après : entre espoir, ruptures et défis persistants

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Son élection le 24 mars 2024 avait suscité une immense vague d’espoir dans un pays fracturé. Un an après sa large victoire, Bassirou Diomaye Faye est parvenu à appliquer partiellement son programme de rupture à travers une politique étrangère résolument africaniste et des gages en faveur d’une meilleure gouvernance des affaires publiques. Toutefois, il doit encore répondre à l’impatience des Sénégalais en matière d’emploi et de coût de la vie.

Loin de l’hyperprésident Macky Sall, l’ancien opposant cultive l’image d’un chef d’État sobre et discret, laissant la lumière à son Premier ministre, Ousmane Sonko, dont la candidature à la présidentielle avait été invalidée, faisant de Bassirou Diomaye Faye le plan B du Pastef.

Un style présidentiel inédit

“Là où Ousmane Sonko est une boule de feu avec un tempérament impétueux, lui est beaucoup plus calme voire timide et incarne une forme de modération. Cela le rapproche du style d’Abdou Diouf, le deuxième président de la République, même si de manière générale les Sénégalais sont habitués à des présidents omnipotents”, analyse un observateur politique.

“C’est également la première fois au Sénégal que le président n’est pas chef de parti. Je crois que Bassirou Diomaye Faye essaye de se positionner au-dessus de la mêlée et de ne pas être dans le jeu politique comme on l’a vu auparavant”, souligne l’analyste Babacar Ndiaye, directeur de la recherche du think tank Wathi.

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Ligne panafricaniste et diplomatie de rupture

Troquant régulièrement le costume occidental pour des tenues traditionnelles, Bassirou Diomaye Faye a mené au cours de ces douze derniers mois une diplomatie conforme à sa ligne panafricaniste et décoloniale, réservant dès le printemps 2024 ses premiers déplacements à ses voisins directs, la Mauritanie puis la Gambie.

Partisan d’une plus grande intégration sous-régionale, le président sénégalais s’est attaché à nouer des liens avec les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) – le Mali, le Burkina Faso et le Niger, dirigés par des juntes militaires. Une stratégie qui a permis au Sénégal de se poser en arbitre dans le conflit qui oppose ces États à la Cédéao. En juillet, Bassirou Diomaye Faye a été nommé médiateur pour tenter de maintenir la cohésion de l’organisation ébranlée depuis 2020 par des putschs successifs.

Dans le même temps, il a pris ses distances avec la France, désormais traitée par Dakar à l’égal des autres partenaires étrangers. Là où son prédécesseur avait réservé son premier déplacement pour Paris, le nouveau président a visité neuf pays africains avant de se rendre à l’Élysée, le 20 juin 2024.

Fin novembre 2024, le Sénégal a annoncé mettre un terme aux accords de défense signés avec Paris. Après plus d’un siècle de présence militaire, les forces françaises devraient achever leur retrait d’ici la fin de l’été.

En revanche, le chantier complexe de la sortie du franc CFA, promesse phare du Pastef, reste conditionné à la création d’une nouvelle monnaie ouest-africaine et devra être coordonné avec les pays voisins.

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Des indicateurs économiques sous tension

Candidat antisystème, populiste selon ses détracteurs, l’ancien inspecteur des impôts a été élu sur la promesse d’une gestion plus transparente et vertueuse des finances publiques. Le nouveau pouvoir a ainsi lancé une soixantaine d’audits sur des secteurs clés comme les ressources minières, les infrastructures ou encore le bâtiment.

Sur le dossier de la pêche, très sensible au Sénégal, le gouvernement n’a pas reconduit l’accord signé avec l’UE au nom de la défense des pêcheurs traditionnels. Les autorités ont également commencé à s’attaquer à la problématique des chalutiers étrangers qui opèrent sous pavillon sénégalais et menacent, selon Dakar, les ressources halieutiques du pays.

“La question de la transparence a vraiment été un marqueur fort de ces premiers mois. Le président de la République a notamment décidé de rendre public son patrimoine. On peut aussi citer la mise en place d’un parquet financier pour traiter les cas de mauvaise gouvernance”, explique Babacar Ndiaye.

Installé en septembre 2024, le Pool judiciaire financier (PJF) a indiqué en janvier avoir déjà traité 91 dossiers et permis la saisie de plus de 2,5 milliards de francs CFA (environ 3,8 millions d’euros) dans des affaires de corruption et de blanchiment de capitaux.

Sur le front de la modernisation de l’État, le nouvel exécutif a lancé fin février un vaste plan de transformation numérique. Objectif : atteindre 90 % de dématérialisation de l’administration et des services publics d’ici 2034. De grandes transformations nécessaires, mais qui restent bien éloignées des préoccupations urgentes d’une large partie de la population confrontée à la vie chère et à un chômage dépassant les 20 %.

Alerte sur la dette et pressions budgétaires

Si la victoire écrasante du Pastef lors des législatives de novembre devait offrir au nouveau pouvoir une confortable marge de manœuvre pour “trouver des solutions contre la vie chère”, l’état des finances publiques hérité de la précédente administration semble avoir changé la donne.

Selon un rapport de la Cour des comptes rendu public le 12 février, la dette sénégalaise représentait près de 100 % du PIB fin 2023 et le déficit budgétaire 12,3 %. Des chiffres bien plus élevés que ceux présentés par les anciennes autorités.

Avides de liquidités, les autorités à Dakar attendent désormais les conclusions du FMI après ces révélations sur l’état réel des finances publiques. L’institution a décidé de suspendre son précédent programme signé en juin 2023, d’un montant total d’1,8 milliard de dollars.

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Justice et libertés : entre avancées et inquiétudes

Attendu sur une réforme de la justice, une institution régulièrement accusée d’instrumentalisation par le pouvoir politique, le président Faye a tenu sa promesse après la remise en juillet des conclusions d’assises nationales. Le chef de l’État s’est dit prêt à adopter la plupart des recommandations proposées.

“On parle de la mise en place d’un juge des libertés pour mettre fin aux mandats de dépôt injustifiés et désengorger les prisons. Il y a aussi une loi attendue sur les lanceurs d’alerte qui fait écho à l’histoire du Pastef, car Ousmane Sonko a lui-même été perçu comme un lanceur d’alerte dans l’administration”, rappelle Babacar Ndiaye.

Le gouvernement a également commencé à indemniser les victimes des crises politico-judiciaires qui ont secoué le Sénégal entre 2021 et 2024. En revanche, la question de l’abrogation de la loi d’amnistie votée le 6 mars 2024 par Macky Sall reste en suspens.

Si les efforts pour renforcer l’État de droit au Sénégal ont été une réalité au cours de cette première année, certains observateurs ont aussi noté une recrudescence des poursuites contre les médias.

Le 15 mars, l’opérateur TDS-SA a coupé le signal de 16 chaînes de télévision en raison d’arriérés de paiement. Un événement perçu par ces médias comme une volonté de museler la presse privée.

Un tournant encore fragile

Au terme de cette première année, Bassirou Diomaye Faye et son équipe montrent une réelle volonté de redresser le pays et d’apporter une rupture avec les pratiques du passé. Toutefois, la consolidation de cette dynamique demandera du temps et des efforts soutenus pour répondre aux attentes des Sénégalais face à une situation économique et sociale tendue.

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