jeudi 19 septembre 2024

Frontière Bénin-Niger : Niamey se tire une balle dans le pied?

Partager

Malgré la décision prise le 24 février 2024 par la CEDEAO de lever partiellement les sanctions contre le Niger, et celle du Bénin de rouvrir de son côté la frontière, Niamey a quant à lui maintenu fermer la sienne au nom d’une prétendue « sécurité » nationale. Entretemps, « Il est procédé à la levée de la mesure relative à la suspension, dans le port de Cotonou, des importations de marchandises à destination du Niger », au mois de décembre 2023, avait déclaré Mr Bart Jozef Johan Van Eenoo, Directeur Général du Port autonome de Cotonou. Pays enclavé, son seul débouché maritime est le Bénin, car « 83% des importations du Niger passaient par le port de Cotonou », a rapporté la même source.

Prétexte sécuritaire justifié ? Réponse du berger à la bergère.

Accusant d’abord la France et les américains de soutenir le terrorisme et ses ennemis pour « déstabiliser » la junte et l’ensemble du pays, le Général Tiani, n’a pris aucune mesure pour rouvrir la frontière de son côté. Cette attitude a donc obligé au début de mai, le Bénin d’interdire l’exportation du pétrole nigérien au port de Sèmè, point de chute du pipeline transnational qui transporte le fuel depuis le site d’Agadem, condition sine qa none posée par la Présidence pour la réouverture de sa frontière. « On ne peut pas nous voir comme des ennemis et vouloir notre collaboration et nos moyens », a rappelé le Président Patrice Talon dans son adresse au peuple. Encore une fois pour se justifier, le Premier ministre a affirmé le 11 mai que « des raisons de sécurité » ont motivé le maintien du blocus frontalier de leur côté en accusant leurs voisins de servir de basearrière aux militaires français qui « entraînent des terroristes ». Cette allégation a été démentie par le gouvernement béninois. Cette intransigeance du Niger de ne pas rouvrir sa frontière avec son voisin du sud n’est pas restée sans conséquences. Elle a impacté plusieurs 2 secteurs économiques qui ont des répercussions sur le social des populations nigériennes.

Economie bouleversée et des ménages affectés par la flambée des prix

Si le DG du Port Autonome de Cotonou a avoué que la crise avec le Niger a occasionné une baisse de « 10 à 15% » du chiffre d’affaires de cette structure qui assurait avant la crise « 83% des importations » nigériennes. A la vue de ces chiffres la décision de Tiani n’a donc pas manqué d’avoir des conséquences socioéconomiques sur ses compatriotes, puisque le Port de Cotonou est la porte maritime du Niger. Cette fermeture des frontières du Niger a entraîné la perturbation de la chaîne d’approvisionnement, un profond bouleversement économique et financier du pays même si côté béninois des commerçants paient le prix de cette mesure. Cela s’est traduit par une rareté de produits de premières nécessités sur les marchés et a favorisé la flambée des prix dans plusieurs régions nigériennes. Devant la faiblesse du pouvoir d’achat de la population et les difficultés d’approvisionnement, plusieurs grossistes sont obligés de fermer leurs établissement faisant le lit au chômage. A titre illustratif, à BBC Afrique, Hadjia Hadiza Alzouma, une mère de famille a déclaré qu’« il y a beaucoup de denrées qui nous proviennent du Bénin tels que le riz, le maïs, l’igname, la farine de manioc et celle d’igname et tapioca. Aujourd’hui, ces produits, très consommés par la population nigérienne, deviennent rares sur nos marchés. Pire, les prix de certains produits ont connu une hausse vertigineuse. Normal, puisque la frontière avec le Bénin est fermée, les commerçants contournent vers le Togo et le Burkina Faso et cela implique d’autres frais supplémentaires. Par exemple, la tasse de gari (farine de manioc) qui coûtait 800 FCFA est vendue à 1500 FCFA, le sac de riz qui se vendait à 11.000 FCFA et revient à 17.000 FCFA, 3 voire plus. Sincèrement, nous souffrons beaucoup de cette situation ». Elle a déploré cette augmentation de prix en regrettant que « le sac de Gari (aliment fait à base de manioc) que nous achetons à 45.000 F est vendu aujourd’hui à 90.000 FCFA. Avant les prix avaient augmenté, mais pas à ce point. Pire, quand notre stock de marchandises sera épuisé bientôt nous ne pourrons plus en avoir », avant d’exhorter les deux pays à trouver une solution à cette crise. Pareillement, ce blocage de la frontière a impacté le secteur pharmaceutique qui dépend largement du Port Autonome de Cotonou. C’est dire que des officines et des hôpitaux ont manqué de médicaments pour soigner les malades pour leur épargner une brusque fin de vie. Le transport des personnes et des biens, l’hôtellerie et le tourisme ne sont pas aussi épargnés par les conséquences du blocus frontalier tout aussi les services publics et privés. « La levée des sanctions imposées par la CEDEAO n’a pas donné les effets escomptés sur la reprise des activités économiques et le retour à la normale des échanges commerciaux transfrontaliers. Pour des mesures sécuritaires, le Niger maintien la fermeture de la frontière avec le Benin. Toutefois, avec l’ouverture de la frontière avec le Nigeria, les échanges commerciaux transfrontaliers ont repris, mais n’atteignent pas le niveau du commerce avant le coup d’État de juillet 2023 à cause des baisses des disponibilités des produits alimentaires et la faiblesse de la Naira/XAF », a rapporté l’ONG Famine Early Warning Systems Network sur son site fews.net.

Le Niger opte pour le port de Lomé comme alternative

L’accès à la mer pour le Niger, un pays enclavé est vital et représente pour lui un grand enjeu, surtout que l’Afrique de l’Ouest est dans une dynamique géopolitique et cela reconfigure les corridors d’échange entre ses Etats depuis l’initiative du Mali, du Burkina et du Niger de créer l’Alliance des Etats du Sahel (A.E.S). 4 Dans ce contexte politique de méfiance, de tension ainsi que de guerre économique, le Togo veut tirer le maximum de profit en misant sur sa position géographique. Dans l’optique de faire de son port un fer de lance de son économie, une mission diplomatique a séjourné dans la capitale du Niger et a ressuscité les accords de coopération liant les deux pays qui ont signé début juin 2024, un Mémorandum dont l’objectif est de « renforcer la coopération économique à travers la facilitation de l’échange et la consolidation du corridor Lomé-Ouaga-Niamey pour les transits de marchandises à destination du Niger ». Dans ce partenariat économique, le port de Lomé servira donc de plateforme aux importations et exportations nigériennes à la grande satisfaction de leurs autorités et d’autres grossistes choisiront le Nigeria pour s’approvisionner en produits. « La République sœur du Togo a déjà beaucoup fait et nous l’en remercions. Grâce au Togo, depuis le 26 juillet, la population nigérienne continue à être approvisionnée », a déclaré en début d’année le Colonel-major Salissou Mahman Salissou, ministre des Transports et de l’Équipement du Niger. Le corridor Lomé-Ouaga-Niamey va donc être l’alternative de Cotonou-Niamey, mais cela ne sera pas sans risque tout comme celui avec le Nigeria. Désormais, les camions de marchandises doivent parcourir 1242 km depuis les côtes de Lomé pour atteindre Niamey alors que le trajet Lomé – Cotonou est de 1060 km. Traversant le Burkina Faso confronté à la présence djihadiste qui n’hésite pas à s’attaquer à des cibles civiles, cet axe est le capharnaüm des transporteurs et d’autres voyageurs pour cause d’insécurité et de l’état de la route. A cela, s’ajoute l’arnaque et le racketage dont sont victimes les usagers sur les voies. Ces coûts supplémentaires de transport et les risques de voyage se répercutent aussi sur les prix des produits qui demeurent très chers dans le pays.

Et le pétrole dans ce bras de fer ?

Autre perte pour le Niger et l’entreprise chinoise CNPC ainsi que le Bénin – à une faible échelle par rapport à ses partenaires – c’est l’arrêt de l’exportation du pétrole brut par le port de Sèmè. Depuis la décision de Cotonou de bloquer la livraison de l’« or noir », Niamey a perdu des millions de Dollars qui devaient lui servir au financement des projets sociaux et de développement. Pire, les finances publiques attendaient avec impatience les revenus pétroliers pour rembourser sur 12 mois avec un taux d’intérêt de 7%, l’« avance » de 400 millions de dollars décaissée par PetroChina sur la commercialisation de pétrole brut. Malheureusement que l’embargo sur la manne noire a affecté le trésor et cela ne peut réjouir la junte militaire qui est empêtrée dans des difficultés à honorer ses engagements à court terme sur les marchés obligataires régionaux. Ressource stratégique pour le voisin du nord, il est prévu qu’environ 90.000 barils de pétrole transite chaque jour depuis les gisements de l’Est nigérien jusqu’aux installations de Sèmè pour être vendu par la société chinoise sur le marché international. Mais depuis mai, aucune goutte n’est pompée dans les pétroliers qui ont accosté. Cela ne manque pas de courroucer les chinois qui sont obligés de subir les frasques de la junte alors qu’ils ont investi sept (7) milliards dans le projet. De quoi à décourager les investisseurs.

Le dégel pour atténuer la souffrance de la population et un partenariat gagnant-gagnant.

Le coup de force du Général Tiani de juillet 2023 mettant fin au régime démocratique de Bazoum et ses nombreuses décisions « souverainistes » ont alterné la parfaite relation qu’entretenait le Niger et le Bénin et, accentué la pauvreté du peuple nigérien qui n’avait plus besoin de subir les conséquences de telles décisions. 6 D’après les rapports de la Banque Mondiale sur le Niger, « le taux d’extrême pauvreté a atteint 52,0 % en 2023 en raison d’une croissance négative par habitant et d’une inflation en hausse, ce qui, par rapport à 2022, a augmenté la population extrêmement pauvre de près de 1,1 million de personnes, portant le total à 14,1 millions de personnes en 2023 ». Cette paupérisation ne semble pas baisser en 2024. Devant ces mesures et bras de fer qui entravent le développement du commerce entre les deux Etats et le bien-être de la population, des initiatives de médiation sont encouragées par les acteurs concernés. Le Président Talon qui a reçu lundi en début de semaine ses prédécesseurs T. Boni Yayi et N. Soglo après leur mission de conciliation au Niger est disposé au dialogue pour la levée du blocus. Au lieu de se murer derrière des prétextes de « sécurité sans fondement, la junte aura beaucoup à gagner à cohabiter sainement comme dans le passé avec le Niger », a déclaré un spécialiste des Relations Internationales qui a requis l’anonymat. Déjà victime de l’instabilité politique et sécuritaire sur fonds de terrorisme, les nigériens notamment la jeunesse continue de payer un lourd tribut. Le maintien par le Niger de la fermeture de sa frontière amplifie la précarité et le chômage des jeunes, ce qui va perpétuer l’instabilité sociale. Par manque d’emplois, cette couche de la population – vulnérable- classée parmi la plus pauvre du monde sera une proie facile des mouvements terroristes qui désirent rajeunir leur effectif par l’enrôlement volontaire ou forcé. Sinon, devant l’absence de politique social pour son émancipation, la jeunesse nigérienne aura que pour seule idée la migration irrégulière en Europe et le pays continuera de demeurer la place forte de ce commerce qui a fait de la Méditerranée « un cimetière » des Africains. Pour ce mois de juillet 2024 qui a débuté, les yeux de l’opinion dans les deux pays sont davantage rivés sur Talon et Tiani, et les oreilles tendues à la porte de leurs palais présidentiels pour entendre les premières décisions pour la désescalade.

Views: 34695

Plus d'actualités

Articles Populaires