samedi 15 novembre 2025

Ouattara, Talon : deux visions du pouvoir à l’épreuve de l’alternance

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Parfois, une phrase suffit à cristalliser une vision du pouvoir. Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, affirme : « Le devoir peut transcender parfois la parole donnée de bonne foi ». De son côté, Patrice Talon, président du Bénin, déclare : « Personne ne va m’attacher dans le fauteuil présidentiel. Je m’en vais en 2026. La fonction m’a vieilli ». Ces deux déclarations, éloignées dans le ton comme dans l’intention, offrent un saisissant miroir des tensions démocratiques qui traversent l’Afrique de l’Ouest.

L’épreuve du troisième mandat : quand le devoir redéfinit la promesse

En 2020, Alassane Ouattara avait promis de se retirer après deux mandats, conformément à l’esprit de la Constitution ivoirienne. Pourtant, la mort de son dauphin désigné, Amadou Gon Coulibaly, sert de catalyseur à un revirement : Ouattara se représente, invoquant la stabilité et le devoir d’assurer la continuité. Ce choix, formulé comme un sacrifice, devient la matrice d’un discours récurrent sur la responsabilité historique des chefs d’État. Mais il soulève une question cruciale : à partir de quand le devoir invoqué devient-il une justification de la perpétuation au pouvoir ?

Cette rhétorique du devoir, utilisée dans plusieurs régimes ouest-africains, repose sur une logique paternaliste où le président incarne la garantie suprême de l’unité nationale. Le risque est connu : elle marginalise les institutions, affaiblit l’opposition et dévoie le principe de limitation des mandats. Le bilan est contrasté : si la Côte d’Ivoire reste relativement stable, cette stabilité est chèrement acquise au prix d’un climat politique crispé, d’un dialogue national bloqué, et d’un processus électoral durablement contesté.

Talon ou la discipline du renoncement

À l’inverse, Patrice Talon, arrivé au pouvoir en 2016 au Bénin, s’est engagé dès le départ à ne faire que deux mandats. S’il a brièvement envisagé une révision pour un mandat unique, il est revenu à la norme constitutionnelle. En réaffirmant récemment, avec une clarté rare, qu’il quitterait le pouvoir en 2026, Talon se démarque de nombreux chefs d’État de la région. « La fonction m’a vieilli », confie-t-il. Un aveu d’usure qui tranche avec le discours souvent héroïque des présidents à vie.

L’engagement de Talon renforce une dynamique institutionnelle. Le Bénin, malgré les critiques sur le recul de certaines libertés publiques, conserve une tradition d’alternance régulière. En affichant son départ comme une évidence, le chef de l’État renvoie un signal fort : le pouvoir n’est pas un destin, encore moins une propriété personnelle. C’est une fonction temporaire au service de la nation.

LIRE AUSSI : « Être porté en triomphe » : le président Patrice Talon avait vu juste depuis 2016

Deux trajectoires, deux philosophies politiques

Ce contraste entre les deux chefs d’État illustre deux philosophies du pouvoir. Ouattara voit dans le mandat présidentiel une continuité de mission, légitimée par des circonstances exceptionnelles. Son discours s’adresse à l’histoire, aux urgences, aux fragilités supposées des institutions. Talon, lui, inscrit sa démarche dans un récit républicain plus institutionnel : le président passe, la République demeure. Il parle d’usure personnelle, de discipline, d’alternance comme mécanisme sain pour la démocratie.

Ce sont là deux visions presque incompatibles. L’une dit : « Je reste car je suis nécessaire ». L’autre dit : « Je pars parce que nul n’est indispensable ». Ces choix renvoient à des contextes politiques distincts, mais leurs effets débordent les frontières nationales. Car en Afrique de l’Ouest, où la tentation du pouvoir prolongé reste forte, chaque décision présidentielle envoie un signal à l’ensemble de la région.

Une région en tension entre stabilité et renouvellement

Les dynamiques observées en Côte d’Ivoire et au Bénin s’inscrivent dans une région marquée par les incertitudes politiques. Au Sénégal, la transition post-Macky Sall reste sous surveillance. Au Togo, la réforme constitutionnelle de 2024 a redéfini les règles du jeu en faveur du président Faure Gnassingbé. Dans les pays de l’AES (Burkina, Mali, Niger), les régimes militaires ont suspendu les processus électoraux.

Dans ce paysage fragmenté, la parole des présidents sortants devient politique en elle-même. Elle révèle le rapport à la loi, à la promesse, à l’ego et à la postérité. Elle façonne la confiance ou la méfiance des citoyens. Et surtout, elle conditionne le retour à une culture démocratique qui fait de l’alternance un principe, et non un accident.

Conclusion : au-delà des mots, le courage de la limite

Entre le devoir invoqué par Ouattara et le détachement affirmé de Talon, il y a plus qu’un style : il y a une ligne de fracture dans la conception du pouvoir. L’un cherche à convaincre que rester, c’est servir. L’autre démontre que partir, c’est aussi servir. À l’heure où l’Afrique de l’Ouest cherche son souffle démocratique, cette différence n’est pas anodine.

Car la vraie grandeur politique ne se mesure pas à la longévité, mais à la capacité de s’effacer pour que d’autres prennent le relais. Le continent n’a pas besoin de héros fatigués mais de passeurs lucides. Et parfois, le plus grand devoir, c’est de respecter sa propre parole.

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